La Big Ten à la poursuite de son Graal, Notre Dame

Souvenez-vous, nous sommes le 21 Juillet 2021 et le Houston Chronicle, un journal texan, sort une bombe qui marquera à tout jamais l’histoire du sport américain, Texas et Okahoma souhaitent quitter la Big 12 pour joindre la sacro-sainte SEC. Après quelques jours et quelques démentis pour la forme, la nouvelle est confirmée. Le College Football vient d’entrer dans une nouvelle ère.

Un mois plus tard, le 24 Août, les trois nouveaux commissaires des conférences ACC, Big Ten et Pac-12 sentant l’obligation de répliquer à ce séisme viennent lancer leur, timide, contre-offensive, la création de The Alliance. Via un communiqué de presse, on apprend les contours du projet. Pour résumer, un souhait de rapprocher les conférences en programmant deux rencontres par an entre les programmes. En soi une bonne idée mais qui manquait clairement d’envergure face à la SEC. Et avant même que les premiers matchs puissent être joués, on pouvait percevoir quelques crispassions dans les sourires de façade. Pas de contrats signés entre les trois conférences ni de timing plus précis du lancement de cette Alliance mais un gentlemen’s agreement qui n’engage que ceux qui y croient. D’ailleurs pas plus tard que deux jours après l’annonce de la création de The Alliance, on apprenait que les Trojans d’USC allaient ouvrir leur saison 2024 contre LSU rendant donc impossible la rencontre contre une équipe de l’ACC et de la Big 10 cette saison là. L’affaire semblait déjà mal embarquée.

Retour au temps présent, The Alliance a fait long feu, moins d’un an d’existence, une durée de vie presque plus courte que son équivalent dans la série The Office. Le fameux accord verbal a volé en éclat quand la Big Ten a usé de ses charme$ pour accueillir USC et UCLA mettant par la même occasion la Pac-12 en soin palliatif. De son côté l’ACC, empêtrée dans un contrat télé trop long avec ESPN, se réveille chaque jour en espérant que Clemson ou Florida State sont bien encore des membres de la conférence. 

Mais bien plus que le nom, c’est l’idée derrière cette “Alliance”, rapprocher les conférences, qui semble morte et le tweet de l’insider moustachu le plus connu du College Football Brett McMurphy semble le confirmer.

La Big Ten qui demandait alors à tous ses membres de jouer au moins une équipe du Power 5 dans leurs rencontres inter-conférences pourrait revenir sur cet obligation*. Derrière cette décision se cache en fait une volonté de renforcer la conférence en se repliant sur elle-même et de mettre un coup de pression à Notre Dame et à la SEC. Début d’explication. 

La SEC passera à 16 équipes la saison prochaine, vous êtes au courant. Ce que l’on ne sait pas encore, c’est le choix du nombre de matchs intra-conférences ni le format de la conférence, nous y reviendrons d’ailleurs sur un prochain article. Tout laisse à penser que la SEC pourrait passer également à 9 matchs de conférence mais rien n’est encore confirmé au moment où je tape cet article. Et en effet les huit petits matchs de conférence programmés actuellement par la SEC sont l’une des critiques majeures qui ressort à chaque fois que le débat inutile et donc passionnant de la « meilleur conf' » refait surface. Un match de moins entre équipes de la conférence, par rapport par exemple à la Big Ten, la Big 12 ou la Pac12, c’est factuellement sept défaites de moins au bilan et ça peut compter en fin de saison quand il faut se qualifier à un bowl. Vous vous souvenez tous de l’année 2020 où la SEC avait fait le choix de ne jouer que des matchs de conférences exceptionnellement portés à dix cette année là. Je sais qu’il est humainement difficile de dire à haute voix « c’était quand même bien 2020 » mais en tant que fan de CFB, ce calendrier de la SEC c’était quand même le pied. S’il est difficile d’imaginer la SEC choisir de pérenniser ce choix là, en revanche une autre conférence pourrait y trouver son compte.

En effet, comme la SEC, nous ne connaissons pas encore le format des matchs de conférence de la Big Ten à partir de la saison 2024. Jusqu’à présent, il se jouait neuf matchs de conférence et la décision de ne pas obliger les équipes à jouer une équipe du Power 5 laisse à penser que cela sera encore le cas. Je vois mal la conférence retomber à 8 matchs par an, surtout avec maintenant seize équipes en son sein. Mais il y a une autre option tout à fait viable, aussi bien pour les équipes que pour les diffuseurs et les fans, passer à dix matchs de conférence! Et pourquoi donc? Pour attirer Notre Dame. 

La Big Ten ne s’en est jamais, réellement, caché, l’objectif ultime pour la conférence est d’accueillir la fac de l’Indiana. Et ça tombe bien, à partir de la saison 2024 la Big Ten aura comme membre trois de ses plus grands rivaux des Fighting Irish. Et vous l’avez donc compris mais rien n’obligera donc les Trojans, les Wolverines ou les Spartans à programmer Notre Dame à partir de la saison 2024. Sacrilège me direz vous (surtout pour USC), et vous auriez raison mais malheureusement le respect des traditions n’a pas vraiment la cote en ce moment en College Football. Ce qui compte ce sont les considérations pécuniaires, et en parlant d’argent Notre Dame est en train de négocier ses prochains droits TV qui arrivent bientôt à échéance avec NBC. 

La chaîne au paon possède les droits de diffusion des matchs à domicile de Notre Dame mais elle vient également d’acheter certains droits de diffusion de la… Big Ten à raison d’entre 14 et 16 matchs sur NBC par an et 8 sur Peacock (leur plateforme de streaming) pour 350M$ par an. Et si NBC est bien évidemment attaché au programme de South Bend, ça ne sera pas à n’importe quel prix. D’après certains échos d’insiders, les Fighting Irishs attendraient 45M$ par an, une coquette somme mais bien en deçà des 75M$ que toucheront les programmes de la Big Ten à partir de 2024.

Une différence de 30M$ suffisante pour faire craquer Touchdown Jesus? Rien n’est moins sûr car même si les traditions ont tendance à partir à vau-l’eau, Notre Dame tient quand même à son indépendance comme à une relique de temps maintenant oubliés. Et puis c’est plus facile de récupérer de l’argent quand on a un leprechaun comme mascotte. Mais Notre Dame tient aussi à ses matchs contre USC, Michigan ou Michigan State et une entrée en Big Ten garantirait de les rencontrer au pire tous les deux ans et au mieux chaque année. Et ça pourrait très clairement faire pencher la balance du côté de la Big Ten.

Je n’ai rien contre le partenariat qu’à Notre Dame avec l’ACC, et comme le régionalisme a tendance à être un lointain souvenir dans le monde du CFB on peut même dire que le programme est une sorte de précurseur dans ce domaine. D’ailleurs, les rencontres contre Clemson, Pitt ou Miami (rivalités oblige) sont souvent des bons moments dans la saison. Mais il serait presque plus logique de voir Notre Dame rejoindre la Big Ten et retrouver Purdue ou Northwestern. Notre Dame de par son histoire en tant qu’indépendant a une liste de rivaux longue comme le bras et son arrivée dans la Big Ten permettrait de concilier histoire et géographie.

En passant potentiellement à dix matchs de conférence, la Big Ten met donc le couteau sur la gorge de Notre Dame. USC dans la Big Ten version 2024 n’a presque plus besoin de son grand rival (j’ai du mal à écrire cette phrase) et Notre Dame se trouve devant une situation intenable. Rester indépendant au risque de perdre de son lustre d’antan ou rejeter ce qui a fait son histoire pour se permettre de continuer à l’écrire.

En prenant tout le monde de court, la Big Ten souhaite prendre le rôle de chef d’orchestre pour remettre de l’ordre, son ordre, dans la grand cacophonie qu’est actuellement le CFB. Son souhait, présumé, de transformer sa conférence en mini-championnat fermé sur lui même créé une dynamique proche de celle que l’on connait dans nos championnats de football européen. Le CFP devenant une sorte de Champions League où seuls les champions des « petites » conférences auraient le droit d’affronter les grosses écuries de la Big Ten et de la SEC. Parce que l’objectif ultime est là, « qualifier » le maximum d’équipe de sa conférence parmi les 6 équipes « at large ».

Dans un sport où les comparaisons entre équipes de différentes conférences sont souvent hasardeuses en l’absence de confrontation directe et où le nom compte parfois presque plus que le bilan, la Big Ten souhaite avoir dans ses rangs le maximum de blue bloods ou de noms clinquants et d’éviter de ternir le CV de ses équipes par des défaites dans trop de matchs inter-conférences compliqués. Et ça tombe bien la MAC n’est pas loin! Fini l’ère du romantisme et bienvenue dans celui du pragmatisme.

*: Michigan a vu sa série contre UCLA prévue en 2022 et 2023 annulée, expliquant l’absence d’équipe du Power 5 à son calendrier lors de ces deux années. 

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